Les trangenres ont toujours ce soucis de rechercher le bonheur au travers d’une ré orientation de leur genre*. Cela pose un certain nombre de questions. De quoi parle-t-on. Que lui manquait-il avant. Que lui apporte un changement de genre. etc etc
Mon genre féminin ne s’est pas imposé de manière brutale. Il m’a simplement paru « couler de source ». A partir de là, je ne pouvais plus l’ignorer sans ressentir un vide.
Il y a quelques dizaines d’années, il s’exprimait de manière occulte pour les autres. Dans mon enfance, je rêvais énormément de moi dans un autre genre. Puis, j’ai dessiné. Des personnages féminins exclusivement. Comme d’autres joueraient à la poupée. Les toutes premières fois ou des vêtements féminins ont changé mon apparence, ce fut une émotion intense. Mais rien pendant des années ne fit le lien entre l’expression d’une féminité et moi même. En fait, à l’époque, le moi n’avait pas cette dimension. Je ne cherchais pas ou en tout cas n’éprouvait pas le besoin d’être « quelqu’un en particulier ».
L’expérience tend à montrer que cette prise de conscience intervient, ou tout au moins, acquière une importance particulière après une première expérience impliquant un contact avec autrui. Même si une pratique parfois longue est pré existante. Ce qui est tout de même très curieux. Mais pas forcément absurde si l’on considère que l’ego, en plus de la sphère émotionnelle, est alors très sollicité. C’est probablement par ce biais que la prise de conscience a lieu. Cela éclaire la démarche sous un jour inattendu. Puisque dans ce cas, le genre n’est plus seulement une fin en soi mais aussi un moyen...
Dialoguer par minitel a permis d’avoir mes premiers contacts significatifs avec l’extérieur. Je crois que c’est l’intérêt que j’ai alors suscité qui a eu pour effet de me donner une dimension qui m’avait jusqu’alors échappé. Mon « personnage » devenait tout à coup réel et intéressant pour d’autres que moi. J’ai commencé à prendre conscience que j’existais réellement. Ce qui a été aussitôt très stimulant. C’est à partir de là que les premières rencontres ont eu lieu.
Ensuite est venu internet. Avec cet énorme plus: L’image. On pouvait non seulement communiquer par des mots mais… se montrer. Le succès qui en a découlé pour moi a été fulgurant! J’ai commencé alors à sortir très régulièrement (2 fois par semaine, surtout la journée). A cette époque, j’avais une double vie bien cloisonnée. Situation qui a duré des années. Mon personnage féminin s’est renforcé au fil de temps. Devenant le plus important au plus émotionnel. l’ »homme » gardant essentiellement une dimension pratique (Travail et assimilé) et sociale (Relations réduites au minimum).
Changer de genre n’est pas innocent dans notre société. A fortiori en France ou l’homophobie est très forte (Un homophobe ne fait pas la différence entre orientation sexuelle et orientation de genre.). Passé les premiers émois, il faut redescendre sur terre. Et affronter les conséquences de ce choix. Dans notre pays, la lapidation est illégale. Quand on utilise des pavés. Mais le législateur a oublié les tomates avariées dans la liste. Non je plaisante… Mais être un transgenre reste tout de même une épreuve. Parfois au quotidien si la personne est esthétiquement peu crédible.
C’est 15 ans plus tard que j’ai pris la décision. J’ai peu à peu changé d’apparence. D’abord un traitement au laser pour la pilosité faciale. Puis la coupe de cheveux féminine. Un régime adapté. Une hygiène féminine (Épilations, soins, etc) et enfin un traitement hormonal. En deux ou trois ans, j’étais méconnaissable. On me donnait donc du madame presque tout le temps. Il faut savoir que, en dehors des sorties « nana », je reste naturelle (sans maquillage, jean etc). Car officiellement, je n’ai pas fait un vrai coming out. Ce choix assez ambigu me permet de vivre au féminin tout en gardant un genre officiel coté travail et famille. Une sorte de compromis.
Le plus souvent, ça se passe bien mais les contraintes esthétiques au jour le jour sont assez lourdes. S’ »oublier » peut avoir des conséquences. J’ai ainsi vécu de petites humiliations dans certaines circonstances. On m’a appelé une fois « chouchou ». Une autre fois, ça a été des réactions amusées. En plusieurs années (Et tous les jours de la semaine car je travaille), cela a dû m’arriver 3 ou 4 fois.
Les conséquences professionnelles peuvent être lourdes. Pas tant venant de l’employeur, d’ailleurs. Les cas que j’ai ouï-dire font plutôt état de problèmes relationnels avec les collègues. Pression, harcèlement, humiliations… On y vient parfois vite. L’employeur doit alors gérer le problème et ce n’est pas souvent en faveur du transgenre.
Même des personnes qui me côtoyaient 3 ans avant ne me reconnaissaient pas. C’était très étrange à vivre. Certaines connaissances me passant devant sans me dire bonjour. J’ai aussi entendu une réflexion du genre « Ils ont embauché une nouvelle? » venant d’une ex collègue avec laquelle j’ai travaillé 3 ans. La plupart des personnes qui ne me connaissent pas m’appellent « madame ». Au milieu des collègues habituels, cela crée un « oups » global. Plus drôle qu’autre chose.
Le coté négatif est que je suis reléguée au rang des femmes coté promotion. De ce fait, lesdites promotions voire certains postes me passent sous le nez. Je n’ai pas le style voulu même si mes compétences et mon sérieux professionnel joue en ma faveur. Ma position n’est pas remise en cause. Ce qui m’arrange, car je ne suis pas carriériste. Notez que je n’ai jamais eu de remarque et que les relations avec ma hiérarchie sont bonnes.
J’ai en ma faveur mon ancienneté et mes compétences et heureusement, je ne suis pas en recherche d’emploi car là mon style serait un handicap certain!
Les conséquences familiales sont assez évidentes. Elles vont de l’acceptation au rejet. Je n’ai pas de statistiques, mais le taux d’échec doit tourner autour d’un 50%. Ce que je peux vous dire, c’est que plus l’image de l’homme comptait, plus sa perte (en faveur de l’image féminine) est mal vécue et lourde de conséquences.
J’ai vécu des réactions parfois assez brutales (psychologiquement, j’entends). Des personnes très proches ont mal vécu la perte de l’ »homme ». Ce qui est terrible, dans ce cas, c’est que ce qui le remplace est perçu comme « anormal ». Cela empire les choses. A coté de ça, certains ont sauté le pas assez facilement. D’autres font comme si rien n’avait changé. Une seule m’a parlé une fois au féminin et m’a dit quelque chose du genre « on se ressemble toutes les deux ». Mais c’est une exception. Ma mère a eu une réaction étonnante. En voyant des photos de vacances elle m’a dit à froid « tu es jolie ». Et en parlant de mon genre quelque chose comme « Ça en m’étonnes pas du reste » . Finalement c’est la personne qui a abordé mon évolution de la manière la plus frontale et avec le plus d’ouverture d’esprit.
Globalement, cela se passe bien. Mais j’ai été blessée et je dois dire que cela m’a laissé une certaine amertume. J’ai toujours de bons rapports avec ma famille mais je suis devenue plus distante. Au plan émotionnel, beaucoup m’ont perdu sans le savoir. La réciproque est peut être vraie…
Tout cela crée un profond bouleversement. Le transgenre se retrouve propulsé dans une situation ou les règles ont changé. Plus de contraintes. Souvent moins de retours positifs, si l’on prend en compte la globalité de sa vie. Il est fragilisé. Au moins les premiers temps. Et facilement agressé par son entourage (Entourage au sens large) Mais garde néanmoins une motivation très forte.
Cela peut il rendre heureux? Peut on parler d’une vie riche et épanouissante. Peut on parler de bonheur? Il ne faut pas rêver. Nous ne vivons pas dans un mode parfait. La question posée ici est de savoir si le transgenre peut y trouver son compte. Un équilibre. Entrons dans le vif du sujet.
L’équilibre psychologique, définition:
Quand on dit de quelqu’un qu’il est équilibré psychologiquement, on signifie qu’il a un caractère stable, sensible sans être trop émotif, à la pensée claire et nuancée, tout cela lui permettant de s’adapter avec souplesse aux difficultés de l’existence, et d’avoir une vie sociale active et heureuse.
A priori, la démarche ne vas pas vraiment dans ce sens. La motivation, les convictions sont bien là. La stabilité moins. En tout cas au début. La situation au sein de notre société va s’avérer délicate à gérer. Et peut être source de… déséquilibre! Nous évoquerons dans un autre article la source de la motivation, mais pas ici. Parlons plutôt du résultat.
La plupart des transgenres vont travailler à stabiliser la situation. Ce qui est une réaction saine. Même si certains verraient la chose autrement (Si la stabilité est ce qui est recherché, entrez dans le rang. Cela ira tout de suite beaucoup mieux, dirons certains!) C’est toute une vie à reconstruire. Et c’est possible si les conditions matérielles ne font pas défaut.
Ce n’est pas tous les jours facile. Fini les préparations vite fait, la toilette approximative, le cheveux un peu gras. Même en WE ou à fortiori en vacances. Le paraître prend une grande importance. Le regard de désapprobation d’une inconnue que l’on croise est une sanction sans appel lorsqu’on se rate. Pas toujours facile la vie de nana.
Je suis passée par quelques moments plus difficiles. Des moqueries, des humiliations. Toujours des hommes. Souvent tinté d’allusions sexuelles. Rien d’extraordinaire, certes. La bêtise au quotidien. Mais une bêtise qui ronge le coeur et semble ne jamais vouloir en sortir. Qui fait douter.
Il y a aussi de beaux moments. La courtoisie masculine. La spontanéité des relations entre femme. Voilà qui n’existe pas dans le monde des hommes.
La pression émotionnelle est très présente dans mon quotidien, bien que je sois incapable de dire pourquoi elle a pris une telle ampleur. Ça, il faut apprendre à la gérer. Ce n’est pas toujours facile.Finalement, j’ai fini par trouver une sorte de vitesse de croisière. Un style passe partout qui peut s’adapter au besoin. Les contraintes esthétiques sont toujours là bien-sur. Parfois pour mon plaisir
Le plus souvent pour être en harmonie avec mon choix de vie. C’est curieux comme à un moment le rôle féminin domine votre vie plus qu’on ne s’y attend. Le plus souvent, je recherche la tranquillité et ne revendique rien. A ces moments là, peut importe mon style. Mais un « madame? » me fait alors atterrir brutalement. M’obligeant à me ressaisir sans délais. La décontraction, telle qu’on la conçoit au masculin, n’a pas de correspondance au féminin. C’est toute une ré éducation de soi-même.
C’est à partir de ce moment qu’un autre débat intérieur commence. Le plus important. Le plus dangereux, sans doute.
Jusqu’à présent, le démarche était motivée par un objectif précis. Un but précis à atteindre. Une fois arrivée là, que reste-t-il? Sois-même. Pas une image d’Épinal Un rêve. Ou un moment de féminité avant un retour « à la normale ». Il reste soi: Une femme transgenre.
Vivre au féminin le temps d’un défoulement ou d’un moment de « folie » est une chose. Etre une femme transgenre en permanence en est une autre. C’est à ce moment là que le choix se révèle bon ou mauvais pour l’équilibre de la personne. Car l’impulsion initiale est tombée. Il ne reste que la motivation profonde. C’est elle qui sert de socle. Face à la pression journalière et surtout face à soi. Car on ne peut pas tricher bien longtemps avec soi. Motivée, voire « boostée » par le succès ou les « copines », il est facile de croire que l’on est fait pour vivre comme une femme transgenre. Que c’est le bon choix. Seulement voilà. Il en va de cette conviction comme de l’égo dont elle est parfois l’enfant : « C’est un imposteur qui se prend à son propre jeu ».
Qu’arrive-t-il lorsqu’un matin on se réveille dans la peau d’une personne qui ne correspond pas à son ressenti intérieur? On devient unE transsexuelle. Une personne dont l’esprit n’est pas dans le bon corps. Un esprit masculin dans un corps de trans. Il faut alors faire avec. Jour après jour. Mois après mois. Année après année.
Face à soi même, j’imagine que l’on peut s’en accommoder. Voire en tirer un certain plaisir. Mais face au regard des autres… Face aux réactions négatives. Aux injustices. A l’humiliation. Aux rejets. A la marginalisation. Comment « tenir » sans développer une amertume, un dégoût de la vie. Voilà la question à se poser.
Garder son équilibre dans ces conditions devient alors difficile. Voire impossible si les conditions matérielles ajoutent au problème (chômage, précarité). Tel est le vrai débat…
* Le récit ci dessus parle d’une catégorie particulière de transgenre. Ceux qui arrivent à une situation de transsexuelle après un parcours parfois long de travesti. L’idée d’un « coming out » s’imposant à l’age adulte.
Je trouve ton analyse remarquable. Sans doute est-elle la résultante de pas mal de souffrances.
Tu as raison de rappeler les motifs originaux de nos premiers pas en féminité : Le plaisir et toutes ses variantes.
Parfois, je l’oublie et ta piqûre de rappel m’est salutaire.
Amicalement.
Hélyette. (Celle d’ Agora).
Nous sommes quelques unes à l’oublier.
Certaines ont tout sacrifié pour cette course en avant, et parfois à tord. Parce qu’au final, elles ne sont pas heureuses.
Ce constat m’en rendue très prudente avec certaines.